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Qui a signé Madame?

Qui a signé Madame?

Publié le 20/10/2020

MATHIEU LOCAS

 

Nous sommes le jeudi 21 novembre 2013. Vers 19h, je monte me coucher. Avant d’aller au lit, je prends une pilule contre la douleur. C’est qu’une semaine plus tôt, je m’étais fait opérer pour une hernie ombilicale. Je n’ai jamais pris de drogue, un verre de temps en temps et rien comme médicament, à part des Advil. Cette petite pilule me fait imaginer des bébites bizarres. Mais je dors et le mal disparaît momentanément.

Peu après minuit, ça sonne à la porte. Comme j’avais rêvé à pratiquement tout le Zoo de Granby ces dernières heures, je me retourne et replonge dans mon sommeil.

Ça sonne à nouveau.

La prudence est de mise à cette heure. Je me pointe à la fenêtre et je reconnais le «panier à salade» de la police de Gatineau. À nouveau, je crois rêver surtout que ma blonde, qui se réveille à rien, dort comme une bûche.

La sonnette se fait à nouveau entendre.

Ce troisième coup de carillon me confirme que je suis réveillé.

«Mais pourquoi le panier à salade?»

Je descends et j’ouvre. Je fais face à deux policiers.

«Monsieur Locas»

-Oui

«Mathieu Locas»

-Oui, qu’est-ce qui se passe?

«Nous avons eu un appel de la police de Saint-Jérôme. Il est arrivé un incident à votre mère, elle est décédée».

Après avoir tourné en rond pendant une heure, j’appelle à l’hôpital de Saint-Jérôme pour aboutir au département où on a tenté de la réanimer.

Je parle à une gentille infirmière.

-Madame, que j’aille à Saint-Jérôme tout de suite ou vers midi, ça ne changera rien, elle est morte».

«Vous avez raison Monsieur Locas. Prenez votre temps. À votre arrivée, nous allons vous permettre de voir le corps en plus de vous remettre ses effets personnels»

Aussitôt arrivé à Saint-Jérôme, je débarque ma blonde et les filles à la maison pour ensuite me diriger vers l’hôpital. Rendu à l’endroit demandé, une douzaine d’heures plus tôt, je demande à une infirmière de voir ma mère.

«Pas de problème Monsieur Locas. Je prépare le corps et je viens vous chercher dans cinq minutes»

Dix minutes plus tard, la dame revient.

«Monsieur Locas, le corps n’est plus ici»

-Comment ça le corps n’est plus ici. Y’é où?

«Sans doute quelqu’un de la famille a signé pour autoriser sa sortie».

-Madame, la famille c’est moi. Je suis fils unique. Qui a signé Madame?

«Je ne suis pas autorisée à vous le dire Monsieur»

À peine sorti de l’hôpital, j’appelle la seule sœur vivante de ma mère.

-Francine, aurais-tu donné ton autorisation pour la sortie du corps de ma mère?

«Ben voyons Mathieu, j’aurais jamais fait ça!»

Je poursuis mes recherches.  Une heure plus tard, j’apprends que l’entrepreneur Patrick Fortin a été cherché le corps en matinée. Après avoir lancé une alerte sur Facebook, mon ami, feu Réal Coallier (ancien porte-parole de l’Office de la protection du consommateur), me supplie de retrouver le corps au plus sacrant.

Parce que Patrick Fortin était un crosseur. Six mois plus tard, au moment où l’Office lui exigeait de céder 3000 contrats de préarrangements funéraires à un concurrent, il aurait mis fin à ses jours. Il avait aussi plusieurs dossiers devant les tribunaux pour refus de remettre les cendres aux familles. Tapez son nom sur Google, vous allez comprendre.

En fin d’après-midi, je réussis à parler à Patrick Fortin. Tous les mots d’église y passent. Je lui souligne à gros traits ma profession qui, parfois, fait débloquer des choses. Par magie, le corps est vite rentré chez Trudel.

Les années passent. Fin août dernier, je veux savoir si Fortin avait une taupe à l’hôpital qui, moyennant une certaine gratitude, lui refilait de l’information sur les corps, encore chauds, qui se trouvaient à la morgue.

J’envoie deux demandes en vertu de la Loi d’accès à l’information et des renseignements personnels à l’hôpital de Saint-Jérôme. Dans ma rédaction, je reçois un coup de pouce du meilleur journaliste en la matière au Québec, William Leclerc de La Presse. Nous demandons tous les documents traités par le personnel de l’hôpital et le nom de la personne qui a autorisé la remise du corps à l’entrepreneur Patrick Fortin.

J’ai reçu la réponse au début octobre. On m’a remis la lettre générique tout en cochant la case : Le dossier médical a été détruit en conformité avec la Loi sur les Archives.

Je doute de cette réponse. Je poursuis mes recherches et je vous reviens.

Je demeure disponible à mathieu.locas@hotmail.com

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