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Un passage obligé: «Un deuil mal travaillé, ça reste pogné…»-Louis-Philippe

«Chaque expérience de notre deuil fait qu’on va bien, on empire ou on stagne», note Louis-Philippe qu’on retrouve en compagnie de sa fille Alice et de Chantal Verdon.

Un passage obligé: «Un deuil mal travaillé, ça reste pogné…»-Louis-Philippe

Publié le 21/11/2018

«Chez nous, on parle de Jacob.Si un sujet me rappelle un bon moment avec Jacob, je vais le dire.Je peux, par exemple, parler du sourire de Jacob, sans me mettre à pleurer.Un endeuillé devrait pouvoir parler de son enfant sans créer de vague…», confie Louis-Philippe (il préfère conserver l’anonymat au niveau de son nom de famille).

Louis-Philippe est ce père de famille de Saint-Jérôme qui, en août 2016, a oublié son fils Jacob (11 mois) dans l’automobile [après être allé reconduire ses deux plus vieux au camp de jour] pendant toute une journée particulièrement chaude. Le bambin est décédé.

L’histoire a bouleversé le Québec tout entier.

Préférant conserver l’anonymat complet pendant deux ans, Louis-Philippe est revenu sur l’histoire dimanche dernier à Tout le monde en parle. À cette occasion, il était accompagné d’Émilie Perreault et il a été question de sa participation à l’émission Faire œuvre utilequi sera diffusée ce vendredi (23 novembre) à compter de 20 h à ICI ARTV.

Louis-Philippe s’implique également en coanimant avec Chantal Verdon, professeure au Département des sciences infirmières de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), un groupe de soutien pour les parents endeuillés.

Infos Laurentidesles a rencontrés vendredi dernier dans les bureaux de l’UQO.

Un père

La première rencontre mensuelle du groupe de soutien (placé sous l’appellation La balle de laine) a eu lieu le 25 octobre dernier et la deuxième est présentée demain soir (jeudi 22 novembre) dans un local de l’UQO.

En contact avec Louis-Philippe depuis longtemps, Chantal Verdon désirait depuis un certain temps mettre sur pied ce premier groupe de soutien dans les Laurentides, après avoir vécu l’expérience à Gatineau, il y a un certain temps.

«Il n’y avait pas de groupe de deuil dans les Laurentides. Pallia-Vie offre ce service [depuis quelques années], mais ce sont des groupes fermés. Nous [à l’UQO], c’est un groupe ouvert. Nous prenons des gens à n’importe quelle période de leur deuil. Ça peut venir d’arriver comme ça peut être depuis un certain temps», explique Mme Verdon.

Pour mettre sur pied le groupe de soutien, il lui manquait un élément essentiel qu’elle a pu trouver en Louis-Philippe.

«Il y avait des intervenants et des infirmières qui voulaient participer. Dans un groupe, il n’y a pas une seule bonne formule. L’important, c’est d’être au moins deux. Pour moi, ça ne peut être que plus enrichissant que ce soit un parent, et, en plus, un homme. Un homme en deuil d’un enfant vit énormément de réactions. Ils [les hommes] sont un peu laissés pour compte. Dans le système de santé, on a tendance à moins les écouter et moins leur laisser de place. C’est sûr que de pouvoir avoir un homme en deuil qui connaît le processus et ce qu’on peut traverser, pour moi c’était comme un cadeau de pouvoir le faire avec quelqu’un comme ça. J’aime bien animer avec quelqu’un qui a vécu l’expérience, parce que c’est le partage qui fait la richesse. Moi, j’ai la théorie et lui, il a la pratique», explique Chantal Verdon.

Louis-Philippe ne demandait pas mieux.

Il fallait tout de même laisser le temps faire son œuvre.

«Quand j’ai perdu mon petit, j’ai cherché. J’avais pendant quelques semaines avec le CLSC un service correct, mais ce n’est pas éternel. Je me disais que si j’avais un groupe de parents, ça m’aiderait.»

Avant d’en arriver à discuter de la formation du groupe de soutien de Saint-Jérôme, Louis-Philippe avait déjà vécu une expérience ailleurs.

Une expérience exigeante, il faut bien le dire.

«Je suis allé à Les amis de Simon [Les Amis de Simon est un groupe d’entraide s’adressant aux parents en deuil d’un enfant de tout âge qui ont besoin de parler de leur peine. Des rencontres mensuelles se tiennent à Terrebonne]. C’est quand même 45 minutes de route [à partir de Saint-Jérôme], avec deux heures et demie de rencontre. C’est assez drainant comme expérience. Au début, je me disais que mon deuil était relativement jeune à comparer à d’autres, je n’osais pas vraiment prendre la parole.» N’empêche que, «je le gère peut-être mieux. Peut-être parce que je demande beaucoup d’aide à gauche et à droite. Je n’ai pas eu peur de prendre [ce qui était disponible]. J’ai bien avancé là-dedans. Je me disais que ça serait bien qu’il y en ait un [groupe d’entraide] dans la région».

Une question, par contre, se posait: «Je me disais, est-ce que j’ai la compétence?»

Mais le moment était tout choisi.

«[Comme le disait Chantal] Ce n’est pas recommandable avant deux ans après le deuil. Le délai de deux ans tombait cet automne. C’était de trouver les moyens et la façon de le faire. Avec les ressources de l’université, c’est plus facile.»

Même que Louis-Philippe était dans une position pour faciliter les choses.

«En étant coanimateur, je n’ai pas l’obligation de parler.» Par contre «quand on veut se présenter, il n’y a jamais personne qui veut le faire, peu importe la rencontre. En cassant la glace moi-même, ça aide».

La balle de laine

Ce qui n’est pas sans faire remonter des souvenirs à la surface.

«Quand on échange entre parents, ça force un exercice de mémoire.» Ça ramène «le moment qu’ils nous ont confirmé le décès à l’hôpital. Que tu berces ton enfant pendant un certain nombre de temps. [Lors d’une rencontre] Il y a un parent qui en a parlé. C’était pénible de l’entendre, mais ça me faisait revivre un peu ce moment-là dans le temps. Ça fait partie de l’expérience. Chaque partie est importante. C’est juste comment tu le vis. Il y en a qui ne vivent pas bien avec certaines parties de cela. D’autres oui. Chaque expérience de notre deuil fait qu’on va bien, on empire ou on stagne», note Louis-Philippe.

De là l’image de la balle de laine.

«Ta vie, c’est un paquet de fils. Quand un accident comme cela arrive, tous les fils se ramassent et ça fait une balle de laine. Si tu veux que ça revienne comme avant. Il faut que tu travailles ta balle de laine.C’est la même chose avec un deuil si tu ne le travailles pas, si tu décides de mettre cela de côté, ça va finir par te rentrer dedans à un moment donné.Un deuil mal travaillé ou pas travaillé, ça reste pogné et, un peu plus tard, quand ce ne sera pas le moment, ça peut te frapper.»

«Je dis tout le temps que je vis mon deuil comme une femme. Je n’ai pas eu peur d’exprimer mes sentiments. Je n’ai pas eu peur d’en parler et de le travailler. Souvent la réaction d’un homme passe par la famille [son rôle]. C’est l’éducation qui perdure depuis des centaines d’années. Un gars, c’est celui qui soutient. Mais on n’est pas des robots. À cause de cela, on retarde, on retarde, et un moment donné ça te frappe

Un congé parental prolongé

Louis-Philippe sait de quoi il parle.

Après l’événement, «je suis retourné travailler rapidement en me disant, je ne retomberai pas. Je suis retombé. Mon cerveau avait besoin de savoir (il travaille en informatique) qu’il est encore compétent. Je n’ai plus ma tête, je n’ai plus de travail. J’ai été capable de durer trois semaines, mais il a fallu que je retombe en arrêt de travail».

Pour Chantal Verdon, c’est le processus normal. Certains ne sont pas capables de passer au travers.

«C’est difficile, le fait de perdre un enfant. Toute notre vie, on construit une maison avec les matériaux appris de nos parents. Quand arrive la perte d’un enfant, c’est comme un tsunami. La maison est complètement à terre. Il faut regarder les fondations et reconstruire avec des outils (qui ne sont pas nécessairement les mêmes qu’auparavant). Ça bouleverse plein de croyances qu’on pouvait avoir, de sens de la vie, de priorités dans la vie».

«Beaucoup de parents qui perdent un enfant vont changer de carrière. Ils ne sont plus capables de faire ce qu’ils faisaient… C’est pourquoi on [au sein de l’équipe de Mme Verdon] travaille à revendiquer le congé parental [prolongé, après la perte d’un enfant]. Il faut se retrouver, il faut reconstruire cette maison. On se promène entre la peine et le réinvestissement dans la vie. Ce mouvement-là est extrêmement prenant.»

Louis-Philippe est en mesure d’en témoigner.

«[Parfois] En regardant un film ou en jouant à un jeu vidéo, ça me rappelle des moments avec le tout-petit. Ça a fait son effet.Il y ades moments d’angoisse qui montent.À la maison, on laisse passer.On a le temps de prendre le temps.Mais au travail, c’est différent».

Et les conséquences peuvent être importantes si ça dégénère

«Si un employé n’est plus performant et qu’il perd son emploi, ça rajoute un stress financier,exprime Louis-Philippe. Le succès de survivre à la perte de son enfant est grandement relié à la capacité de ne pas avoir d’autres problèmes. Juste s’occuper de ce stress-là, c’est suffisant.»

Alice

Et la vie fait aussi bien les choses.

Aujourd’hui, Louis-Philippe et sa conjointe Isabelle peuvent cajoler Alice (10 mois) qui est venue mettre un baume sur des plaies qui sont là à jamais.