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Sylvie au CHSLD

Sylvie au CHSLD

Publié le 17/06/2020

MATHIEU LOCAS

Sylvie (nom fictif) est Jérômienne. Elle est à l’aube de la cinquantaine et a travaillé fort toute sa vie. Elle a vendu son entreprise y’a quelques années mais a continué à graviter autour d’elle comme employée. Quelques mois avant que le Québec ne tombe en pause, elle avait fait un pas de côté avec son métier. Quand le gouvernement Legault a demandé aux Québécois d’aller aider dans les CHSLD, elle a levé la main.

Comme entrepreneur, le leadership, l’initiative, la rigueur et l’effort sont des qualités essentielles pour demeurer la tête hors de l’eau. Sylvie possède tous ces atouts. Deux jours après s’être inscrite sur le Web, le CISSS des Laurentides lui faisait signe.

Destination : un CHSLD privé, à moins de 30 minutes de la maison qui avait totalement perdu le contrôle de la situation. Perdu le contrôle au point où le CISSS des Laurentides est intervenu parce que certains employés ont attrapé la Covid alors que d’autres ont pris la poudre d’escampette.

Après une formation d’aide de service de quatre jours et une autre de deux heures pour donner des médicaments, Sylvie enfile son armure. Ça va vite, car il manque de personnel et plusieurs bénéficiaires ont la Covid. La personne qui lui montre à laver les gens est une professionnelle recyclée en préposée aux bénéficiaires, en poste depuis quelques semaines à peine.

Sylvie n’a jamais lavé ses propres parents. Du jour au lendemain, elle lave une centenaire. Même si ces ainés ont perdu certaines de leurs capacités physiques, ils ont toute leur tête et surtout toute leur dignité. Pas évident de faire «caca» dans une couche, encore moins de se faire changer par une inconnue.

Sylvie apprend vite.

Elle se souvient, qu’avant de se coucher, Madame Untelle aime se faire frotter les genoux à l’Antiphlogestine et avoir une petite crème sur les oreilles. Quand elle a le temps, elle lui fait un massage aux pieds avant de lui souhaiter une bonne nuit.

Pour le moment, Sylvie est payée 19,69$ de l’heure. Elle ne sait pas quand son aventure prendra fin. Des préposées guéries ou moins apeurées commencent à revenir. Certaines jouent du coude, voyant que de vertes recrues font le travail à leur place, et parfois mieux qu’elles.

Va-t-elle se faire offrir un emploi par le propriétaire de l’entreprise?

Si oui, ça risque d’être à 14$ de l’heure.

Quand le CISSS va se retirer de ce CHSLD?

Aucune idée.

-Ton travail doit être apprécié. Quelques jours après ton arrivée, tu étais fonctionnelle et efficace

«On ne m’a rien dit. Comme je n’ai pas eu de commentaires négatifs, je présume que je fais bien mon travail. De toute façon, je ne sais même pas de qui je relève au CISSS des Laurentides».

-HEIN?

Gestionnaires de notre système de santé, relisez souvent cette dernière phrase. Vous n’avez pas le temps, collez-là sur le mur face à votre cabinet d’aisance. Vous avez beau avoir un MBA, avoir étudié le modèle Toyota, le Fordisme ou le Taylorisme. Pour bien paraître, lors de votre entrevue d’embauche, vous avez glissé la phrase que vous détestez travailler en silo, vous oubliez trop souvent de revenir à la base, comme sortir de son bureau et aller sur le plancher des vaches. Vous n’avez pas le temps de saluer tout le monde, faites-en un bout et déléguez un de vos sous-fifres pour le reste.

Nous étions en décembre 2018. J’étais au Simons de Gatineau. A côté de la caissière, un grand homme, qui ne m’est pas inconnu, me dit :

«Désolé Monsieur, j’ai besoin de deux secondes de votre temps»

Il se tourne vers la caissière :«Madame, je tiens à vous féliciter pour votre travail. Il est essentiel à la réussite de notre entreprise», puis se dirige vers un autre employé.

Je demande à la caissière : «Était-ce Peter Simons, le PDG de l’entreprise»?

«Oui Monsieur, il débarque ici deux ou trois fois par année et à chaque fois, il nous salue tous un à un».

Si Peter Simons le fait, alors….

Cette chronique se voulait un angle de la Covid. Le but n’était pas de faire mal paraître quiconque. Si j’apprends qu’un haut placé, avec son diplôme de MBA, du CISSS des Laurentides part à la chasse aux sorcières pour trouver la véritable identité de Sylvie, je vais tellement lui rentrer dedans. A la place, qu’il investisse son temps à sortir de son bureau en coin.

Je demeure disponible à mathieu.locas@hotmail.com