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Photo Iona Mousli –

La cheffe de police de Saint-Jérôme, Caroline Bernard, a accepté de nous rejoindre sur la terrasse de l’Usine, le temps d’un mocktail et d’un échange sincère sur ce que devraient être les forces de l’ordre modernes — et sur la façon dont elle adapte son propre leadership pour y parvenir.

Caroline Bernard: L’humain derrière l’uniforme

Publié le 05/08/2025

Caroline Bernard est la première femme chef de police à Saint-Jérôme. Marathonienne, proche aidante pour ses deux parents, détentrice d’une maîtrise en administration publique à l’UQTR, elle aurait pu incarner l’autorité dans toute sa rigueur.

Mais c’est tout autre chose qu’elle est venue livrer au micro du Balado de l’été : une parole authentique et incarnée. Celle d’une femme pour qui diriger, ce n’est pas lever la voix — c’est tendre la main. Et ce cinquième épisode, le plus profond de la série, lui doit ce ton rare, profondément humain.

Le fait qu’elle soit arrivée en uniforme n’est pas anodin. « Marc Bourcier disait : “Quand on est maire, on est maire tout le temps… c’est pareil pour moi.” » rappelle Mme Bernard, faisant écho au deuxième épisode du Balado avec le maire de Saint-Jérôme. Ce jour-là, derrière l’uniforme, Caroline Bernard nous a livré une parole vraie, sans artifice. Et une volonté claire de briser certains silences.

D’entrée de jeu, impossible de taire un accomplissement important pour Mme Bernard et le Service de police de Saint-Jérôme : l’implantation de l’unité ESIP, l’Équipe de soutien en intervention psychosociale.

À la même période l’année dernière, dans un article intitulé « Saint-Jérôme : Une succession de crimes violents inquiète la population »,Caroline Bernard confiait à Infos Laurentides : « C’est lourd pour mes policiers. On se retrouve à être les premiers et les derniers répondants dans toutes les situations. »

Cette année, sur la terrasse de l’Usine, les chiffres ne se sont pas améliorés. « Les appels en santé mentale, c’est 1 600 par année. C’est énorme. Et ce sont souvent les plus longs, les plus exigeants. » Ce chiffre, représentant une augmentation de 46 % sur cinq ans, illustre les défis et l’effort d’ajustement constant qui est demandé aux forces de l’ordre.

« Toi non plus, tu n’as pas dormi ? »

Consciente de la rigidité que sa fonction peut projeter, Caroline Bernard demeure accessible. Non pas pour imposer un modèle, mais pour montrer qu’on peut diriger autrement. Avec vérité. « Pendant longtemps, j’étais un tableau Excel. Aujourd’hui, mon équipe connaît ma vie. Ça me fait du bien. »  Ça lui fait du bien, car elle comprend l’impact que cela peut avoir pour avoir bénéficié elle-même d’une telle transparence plus tôt dans sa carrière.

Caroline Bernard n’a jamais couru après les titres. Ce qui l’a toujours guidée, c’est la mission. « Je ne voulais pas être directrice. Je voulais être la meilleure policière au Québec… défendre les plus vulnérables ».  

Aujourd’hui, en tant que chef, elle défend tout le monde : « Chaque fois que je prenais un grade, je sentais que je pouvais encore plus changer les choses », à commencer par ses collègues.
« Mes policiers ont besoin d’un accès à des psys qui comprennent le terrain. Pas juste des généralistes. Ça prend des psychologues capables d’entendre l’horreur », explique-t-elle.

Et l’horreur, elle l’a vécue. Elle parle de l’appel auquel elle aurait préféré ne pas répondre et de cette phrase d’un collègue qui l’a changée : « Il s’agissait d’une tentative de suicide d’une personne dont j’étais proche. J’aurais fait 1 500 tours d’auto pour ne pas arriver la première. Et ça, je me suis sentie vraiment coupable. Je ne me suis pas sentie bonne policière. »

Le lendemain, au moment de la rétroaction, elle redoute le regard des autres. C’est alors qu’un collègue, un vieux de la vieille, l’aborde avec douceur :
« Toi non plus, t’as pas dormi, hein ? Pis toi aussi t’as revu des images ? » Venant d’un collègue chevronné cumulant 24 ans d’expérience, « Ça m’a fait tellement de bien, je me suis sentie normale ».

Les yeux humides, elle raconte aussi l’histoire de cette jeune fille, agressée sexuellement par son père : « Sa grande sœur me dit : “Moi aussi j’aimerais ça te parler”, ça faisait des mois que son père l’agressait sexuellement. J’étais la première à qui elle en parlait. Cette fois-là, je suis sortie pleurer », admet Caroline, encore émue par le courage et la confiance qui lui était accordée. « C’est la plus belle des spécialités quand tu peux faire la différence chez les autres ».

Chaque histoire lui rappelle que derrière chaque badge, il y a une personne. Qui encaisse. Qui doute. Mais qui reste là.

Elle ne cherche pas à lisser l’image de la police. Elle cherche à l’approfondir. À lui redonner des racines humaines, là où, trop souvent, on ne voit qu’un insigne. Et ce jour-là, sur la terrasse de l’Usine, elle a levé son verre — un mocktail — à la santé « des victimes qui osent dénoncer ». Parce qu’elles lui rappellent pourquoi elle a commencé. Et pourquoi elle continue.