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Une page d’histoire se tourne à Saint-Jérôme 

Photo Dominic Fréchette – La Rayonese textile inc. a annoncé mercredi 1er mai à quelques 144 employés syndiqués que l’entreprise fermerait dans les semaine/mois à venir.

Une page d’histoire se tourne à Saint-Jérôme 

Publié le 06/05/2024

Mercredi le 1er mai, les 177 employés et cadres de la Rayonese Textile inc. ont appris que l’usine fermerait de façon progressive, mais définitive d’ici la fin de l’année 2024.

Cette annonce douloureuse a été un choc pour la communauté. Implantée à Saint-Jérôme depuis 1965, La compagnie Rayonese porte en elle une partie de l’histoire de la ville, ayant vu des familles y travailler de génération en génération, des couples s’y former et des vies s’y construire.

Fermeture prévisible?

Pour tenter de comprendre cette page d’histoire qui se tourne, il est nécessaire de regarder où les décisions sont prises, chez Culp, Inc. en Caroline du Nord.

Dans un article datant de 2020, intitulé  « Culp Inc, Not Bound by Tradition », on explique que la compagnie fonde son identité dans sa quête de diversité et d’innovation, n’hésitant pas à investir pour rester à la pointe des tendances. On parle dans l’article d’investissements significatifs pour moderniser la Rayonese et avoir chaque étape de la chaîne de production textile directement à Saint-Jérôme. À un moment où l’entreprise subissait un recul de 24,7% au niveau de ses ventes pour l’année fiscale (Culp Inc., Not Bound by Tradition » BedTimes Magazine), l’investissement montre que la maison mère n’a pas encore abandonné la partie.  

Une usine au ralenti

Les pertes ont continué à s’accumuler et les revenus à chuter. En 2023, les investissements ne suffisent plus à contrecarrer les aléas du marché de la literie et des textiles et le ralentissement se constate facilement sur le plancher de la Rayonese.

Céline Gohier raconte: « On avait du mal à recevoir notre matériel. On n’était pas assis à ne rien faire pendant huit heures, on essayait de s’occuper autrement. J’avais toujours un peu de production, mais c’était vraiment tranquille ».

Céline Gohier avait 21 ans lorsqu’elle a commencé comme opératrice à l’usine où travaillait son père. Elle a consacré 38 ans de sa vie à la compagnie depuis. Âgée de 59 ans aujourd’hui, et malgré la douleur de l’annonce de la semaine dernière, elle se refuse tout commentaire désobligeant et souhaite plutôt faire preuve de solidarité. « La Rayonese, c’est comme ma deuxième maison, ma deuxième famille, c’est quand même 38 ans de ma vie. 40 heures par semaine à côtoyer des collègues de travail qui sont devenus des amis que j’aime énormément, c’est vraiment difficile », dit-elle. J’ai commencé à travailler à la Rayonese quand j’avais environ 21 ans, mais mes souvenirs remontent plus à mes neuf ans, quand mon père y travaillait déjà et que le club social de l’entreprise organisait un dépouillement d’arbre de Noël pour les enfants des employés. Mon père y est resté 27 ans. »

Courtoisie
Céline Gohier et son père ont tous deux travaillé à La Rayonese de nombreuses années, 38 et 27 respectivement.

« Avec le temps, j’ai vu l’usine grandir. Au début, c’était local, on était peut-être 75 employés. Puis, au fil des ans, vers 1995, il y a eu un boom et le nombre d’employés a augmenté jusqu’à atteindre environ 200 personnes. »

La Rayonese a été rachetée par l’entreprise américaine Culp inc. en 1994, et selon le site www.company-histories.com, l’Américaine a alors investi 13 millions de dollars dans l’entreprise pour ajouter 72 métiers à jet d’air et ainsi tripler la production du plan à Saint-Jérôme.

Lors du rachat, Mme Gohier, qui n’avait travaillé jusqu’alors que sous l’égide de la famille Wechsler explique que malgré ce changement de propriétaire, l’usine a réussi à conserver, en partie, son ambiance familiale. « Nous continuions à nous sentir comme une grande famille, mais il y avait quand même une certaine barrière quand les nouveaux propriétaires venaient faire leur tour chaque mois. »

La langue, souligne Mme Gohier, a effectivement toujours créé une distance entre les propriétaires américains et les employés. « Ils étaient souriants, mais ils ne nous parlaient pas, les contremaîtres faisaient la conversation pour tout le monde ».

Photo courtoisie – Céline Gohier et son conjoint Éric Gosselin à la soirée 70e anniversaire de la Rayonese

Cette barrière restait perceptible lors de l’annonce de mercredi dernier à 15 h. « Il y avait deux représentants de Culp inc., mais l’annonce a été faite par un traducteur, ils ne nous ont pas parlé directement. »

Prise par l’émotion, Céline Gohier ne peut s’empêcher de penser à ses supérieurs qu’elle perçoit également comme des victimes de la situation : Patrick Deschaînes, Guillaume St-Sauveur, Véronique Rousseau et Marie-Josée Legault, sont les premiers à qui elle pense. 

« La Rayonese, pour moi, ce n’était pas juste un lieu de travail. C’est là où j’ai grandi, où j’ai formé des liens forts et durables. C’était une partie intégrante de ma vie et celle de ma famille. Je veux que les gens sachent que même si certains y travaillaient depuis plus de 30 ans comme moi, on pense aussi beaucoup aux jeunes qui étaient là depuis peu. Certains sont en couple et viennent de s’acheter une maison, ont une jeune famille. Ils sont touchés autant que nous par la nouvelle. On reste solidaires tous ensemble, ça a toujours été ça la Rayonese ». 

Rencontré au salon de l’emploi de Saint-Jérôme, le maire Marc Bourcier a souhaité s’adresser aux travailleurs de la Rayonese avec des mots d’espoir : « Bien qu’il est toujours triste de voir des employés perdre leur emploi, on se retrouve aujourd’hui dans un salon de l’emploi qui déborde de monde, avec de plus en plus d’entreprises qui souhaitent s’installer dans notre ville. Je souhaite du succès et la meilleure des chances à ces gens pour la suite des choses. »